Ceux
que l’on ignore.
Il
existe un délit de sales-gueules. Il est circonscrit à des pratiques
policières illégales, contrôles au
faciès répétés, ou faux témoignages racistes, c’est un noir, lorsqu’on
n’a rien vu. Mais quand les sales
gueules correspondent à une multitude de gens amochés par leurs conditions
d’existence, il n’y a pas délit, évidemment, il y a surprise.
Ce
que j’ai vu …
J’ai
« fait » un vide-grenier, en France, à douze kilomètres d’une petite
sous-préfecture. Si tant est que le terme de sous-préfecture ait encore un sens
de nos jours, à une époque qui n’a plus ou pas encore son-Courteline.
A douze kilomètres de cette bourgade, se trouvait un sens unique. Un
vide-grenier, organisé par les sapeurs-pompiers du village, s’étalait sur un
terrain de football. J’y ai stationné de six heures à dix-huit heures, soit douze
heures d’affilées. Je n’y ai vu déambuler que des sales gueules !
Là,
j’ai vu défiler tout un peuple de gueules cassées, pas les
« Gueules-Cassées » de la Grande Guerre, celle de 14-18, mais celles
de gens terriblement abîmés par des conditions d’existence difficiles. Les
Gueules Cassées de l’économie. Jeunes et moins jeunes. Des gueules endommagées
par l’exercice du travail. Et aussi par le chômage, la précarité. Rongées par
l’incertitude du lendemain, par l’absence d’avenir, de perspective. J’emploi le mot « gueule » dans le
sens de visage évocateur, suggestif, comme on dit, c’est une belle gueule. Ou bien, il a d'la gueule.
Gueules
et corps cassés par les conditions économiques et culturelles de notre temps
présent. Des gens qui avaient à la fois des visages ingrats, marqués par les
soucis quotidiens, par les travers de la vie, mais aussi avec des visages et
des corps estropiés, avec force de béquilles, de bandages et de cicatrices. Un
peu d’alcoolisme sûrement, mais un alcoolisme ayant uniquement pour fonction
d’atténuer des souffrances sociales récurrentes.
Le
commerce qui se traitait sur ce marché était principalement un échange de
chiffons, (layettes, pantalons, T-shirts, draps) contre cinquante centimes
d’euros voire parfois un euro pour du cuir. Quelques objets utilitaires
changeaient de mains pour un maximum de dix euros. On ne peut pas dire que cela
ressemblait à de la pauvreté, ni au dénuement qui suinte des sans-domiciles
qu’on rencontre dans les grandes villes.
A
mon sens, et je peux me tromper, mais ces gueules-cassées-là ne se
rencontrent jamais dans les grands centres urbains. On pourrait parler d’un
nouveau-lumpenprolétariat. Le terme marxiste convient très bien. Cette société paraissait
composée premièrement de gens déclassés, vivant dans des impasses
existentielles, d’individus emprisonnés malgré eux dans des stéréotypes accablants.
Travailleurs, qualifiés, chômeurs, mais ni voyous, ni mendiants, ni voleurs.
Gens honnêtes, parce que nous ne
sommes passés de l’ère violente du haillon (lumpen) à celle plus soft du chiffon.
Dans
notre société des grandes villes, ces personnes sont invisibles. J’ai l’heur’
de penser qu’elles ne votent probablement pas pour le Front National, parti populiste
et surtout, raciste. Ce serait trop facile qu’elles le fassent, trop caricatural.
Parmi tous ces chalands, d’une grande diversité, chacun pivotait autour d’un
point commun : l’absence de beauté, de celle qu’on voit dans nos
villes et qui n’est pas publicitaire. Et
aussi, l’impression de la douleur sur la peau, tatouage de cette douleur, de
cette douleur qui masque tout et recouvre jusqu’aux sourires.
Défilant
devant les stands de broutilles et de pacotilles, tout ce monde, dont la seule
motivation semblait être celle de vivre coûte que coûte, restait d’une
politesse inouïe, faisait preuve d’une gentillesse incroyable et ne se
plaignait de rien. Pas de joie réelle ni de tristesse non plus. Pas de hargne,
ni de révolte. Une retenue dans la parole, une plaisanterie lâchée mais vite
reprise pour ne pas trop rire.
Si
ce peuple n’est pas le fer-de-lance de la nation en marche selon les visions de
notre actuel Président de la République, il est sûrement le manche
indispensable à ce fer-de-lance !
Si
jamais je leur ressemble, combien sommes-nous ?!
Soudain me revient en mémoire cette expression, le Peuple des sans-dents.
RépondreSupprimerÔ Peuple descendant !
Qui voulait tant s'élever...
S'envoler,
Vers des lendemains enchantés !
Cons. Bien, sommes-nous ?
RépondreSupprimer